Brève histoire de la JEEP

La part des mouvements de jeunesse dans la reconstruction d’une société pacifiée et solidaire.

 

De quand la séparation d’avec le CPCV date-t-elle, et quelles en ont été les causes ? Difficile de le savoir exactement, compte tenu de l’état lacunaire de notre information. Toujours est-il que la vie des clubs, subventionnés par divers organismes publics (la CAF en particulier), a longtemps été, après cette séparation, la principale, sinon l’exclusive raison d’être de la JEEP. Jusqu’à ce que, après la parution du décret de 1972 instituant la Prévention Spécialisée, notre association demande et obtienne du Conseil Général son agrément comme association de Prévention, à côté d’autres associations locales, et soit autorisée à créer et gérer trois équipes, l’une à Hautepierre, la seconde à la cité des Écrivains (Schiltigheim-Bischheim), la troisième au Neuhof.

De quand la séparation d’avec le CPCV date-t-elle, et quelles en ont été les causes ? Difficile de le savoir exactement, compte tenu de l’état lacunaire de notre information. Toujours est-il que la vie des clubs, subventionnés par divers organismes publics (la CAF en particulier), a longtemps été, après cette séparation, la principale, sinon l’exclusive raison d’être de la JEEP. Jusqu’à ce que, après la parution du décret de 1972 instituant la Prévention Spécialisée, notre association demande et obtienne du Conseil Général son agrément comme association de Prévention, à côté d’autres associations locales, et soit autorisée à créer et gérer trois équipes, l’une à Hautepierre, la seconde à la cité des Écrivains (Schiltigheim-Bischheim), la troisième au Neuhof.

À compter de ce moment, et pendant plus de 30 ans, l’activité de notre association aura deux orientations distinctes. La situation sera donc parfois inconfortable, sinon conflictuelle, avec, du côté de la Prévention Spécialisée, des professionnels, en l’occurrence des éducateurs fiers de leurs compétences sanctionnées par un diplôme, et, du côté des clubs, des bénévoles pétris tout à la fois de bonne et de mauvaise conscience. Faut-il en effet le rappeler ?, Les années 70, à la Jeep comme ailleurs dans les associations socio-éducatives, ont vu se multiplier les conflits, plus ou moins âpres, entre ces deux types d’acteurs ; les bénévoles reprochant aux professionnels leur corporatisme, les professionnels reprochant aux premiers leur amateurisme et leur paternalisme – il vaudrait d’ailleurs mieux dire : leur « maternalisme », étant donné que la majorité des bénévoles étaient alors des femmes.

Dira-t-on que ce genre de combat cessa faute de combattants ? On s’en gardera, de peur d’assimiler des conflits, qui peuvent être sains, à des combats, généralement stériles, et même mortifères. On doit en tout cas savoir gré au président de l’époque, le professeur André Benoît – d’avoir plutôt bien maîtrisé l’art du compromis et d’avoir réussi à faire vivre en bonne intelligence éducateurs, d’un côté, animateurs de clubs et membres du Conseil d’Administration, de l’autre. De même a-t-il réussi à donner un tour serein aux relations entre l’association et ses éducateurs et les représentants des institutions publiques dont notre association était la partenaire (Communes, Conseil Départemental etc.). Il ne serait cependant pas excessif de reconnaître dire que l’ardeur militante des animateurs de clubs s’est peu à peu éteinte. Après avoir lentement périclité, l’activité « clubs » a pris fin, il y a moins de 10 ans de cela. L’explication de cet arrêt tient probablement à ces deux phénomènes : concurrence d’une offre de loisirs diversifiée, d’une part, fatigue des bénévoles et difficulté d’en recruter de nouveaux, de l’autre.

 

Changements récents : associatif, par l’accueil de deux autres associations (PAM et Profil Prévention), institutionnel, par suite du transfert de la responsabilité de la prévention spécialisée, du Département à l’Eurométropole

 

Durant ces dernières années, deux changements institutionnels d’importance ont marqué la vie de la Jeep.
Le premier correspond à l’accueil de deux associations de Prévention spécialisée, chacune responsable d’une équipe d’éducateurs : la PAM (association Prévention spécialisée et d’Action sociale à la Meinau), association militante du quartier de la Meinau, en 2012, puis Profil prévention (activement présente à Haguenau et à Erstein). Cette double intégration, qui s’est avérée facile et heureuse, a été possible parce que nos trois associations – directeurs, éducateurs et administrateurs – avaient appris à se connaître et à se respecter, en particulier dans le cadre des activités du CLAPS (Comité de Liaison des Associations de Prévention Spécialisé). De plus – « cerise sur le gâteau », comme on dit -, la Jeep a eu la grande chance, après le départ en retraite de Marc Moser, d’avoir comme directeur Gabriel di Gregorio, jusqu’alors directeur de Profil Prévention.

Le nouvel ensemble, désormais fort de ses 5 équipes, est cohérent ; mieux, il est repose sur une authentique solidarité, l’une de nos valeurs-phare. Cohérence, dynamique et solidarité sont les en effet le fruit de relations vécues sous le signe de l’estime mutuelle, mais aussi de l’habitude, appréciée de tous, de participer à des groupes transversaux de réflexion ayant pour but l’analyse des conditions éducatives, sociales et institutionnelles, de l’action de prévention spécialisée. Les ateliers qui ont ponctué le colloque organisé pour fêter les soixante ans de notre association (novembre 2017) ont fait largement écho aux questions et réflexions abordées dans ces différents groupes.

Le second changement institutionnel d’importance dont il convient de faire état est survenu récemment, en 2017 même : il s’agit du transfert de compétence, du Conseil Départemental – avec lequel ont longtemps été définies les orientations de la mission de la Prévention Spécialisée, et qui continue d’être notre interlocuteur privilégié pour ce qui est des activités de notre équipe Haguenau-Erstein – à l’Eurométropole, qui est désormais notre tout premier interlocuteur pour ce qui concerne l’activité des équipes à l’œuvre sur son territoire. Avec l’Eurométropole – mais aussi avec les autres associations de Prévention Spécialisée – un vaste chantier de clarification des missions de Prévention Spécialisée s’est ouvert ; il doit déboucher sur la signature des conventions nous liant durant les prochaines années.

 

Conclusion provisoire

 

Forcément schématique, cette rétrospective ne visait qu’à rappeler quelques étapes d’une histoire qu’il vaudrait la peine de pouvoir explorer plus en détail, avec un historien de métier. Cette histoire, nous en sommes tous persuadés, au sein de la Jeep, continuera de s’écrire, surprenante et féconde, grâce à l’appui des autorités publiques et au concours de nos multiples partenaires institutionnels et associatifs. Il en sera ainsi tant que tous, éducateurs, amis, administrateurs de la JEEP, nous continuerons à faire acte de courage, d’intelligence et de générosité dans notre action auprès des jeunes, une action dont nous n’oublions pas qu’elle est destinée non seulement à les accompagner dans leurs difficultés, mais encore à leur faire découvrir leurs capacités et à faire comprendre à leur entourage l’ampleur et la richesse de ces dernières, pourvu qu’on leur fasse confiance.

 

Mémoire, inspiration, audace : l’exemple de Jean Jousselin

Ces derniers mots auraient pu servir de conclusion. Si nous poursuivons néanmoins un peu cette présentation, c’est que, nous semble-t-il, les deux remarques suivantes apportent un éclairage supplémentaire précieux sur les convictions partagées au sein de notre association.

  • a) L’œuvre de Paul Ricœur y est souvent évoquée. Or, puisqu’il est ici question d’histoire, d’une histoire qui, quoique modeste, méritait d’être rappelée, on acceptera sans doute qu’on fasse allusion aux analyses de Ricœur consacrées à l’importance psychique, culturelle et éthique de la mémoire. Celle-ci, aimait à dire le philosophe après un auteur qu’il cite souvent, R. Koselleck, nous dote d’un « champ d’expérience » et d’un « horizon d’attente » qui, l’un et l’autre, nous évitent de rester longtemps désemparés face au nouveau, faute d’échouer à lui donner sens. La mémoire ne nous condamne pas à la nostalgie : elle nous incite à nous conduire de façon responsable et inventive face aux menaces, mais aussi face aux promesses que l’avenir nous réserve.
  • b) Pour préciser ce qu’il en est de cet espace et de cet horizon, sans lesquels l’action s’appauvrit en même temps que les acteurs perdent courage. Insistons sur le double ancrage de la Jeep, dans l’Éducation Populaire et, plus particulièrement, dans le CPCV.

Ce n’est pas par simple souci d’exactitude qu’il faut faire référence à l’un et à l’autre. C’est qu’on découvre, à l’origine du CPCV et, en amont comme en aval de cette création, dans l’histoire de l’Éducation Populaire, l’empreinte d’un homme de conviction, doté d’un sens aigu des responsabilités : Jean Jousselin. Cet homme a créé le CPCV, en 1943, dans l’intention d’en faire un lieu d’accueil, et plus exactement de protection. Il s’agissait de protéger, dans un modeste château de la région parisienne, des enfants juifs menacés de déportation. Anne Hidalgo, maire de Paris, a souligné, lors d’une cérémonie d’hommage récente, que le pasteur Jean Jousselin, comme la plupart des Justes, n’avait pas conscience de faire quelque chose d’exceptionnel. Il ne faisait que son devoir, estimait-il. Mais il savait, et Mme Hidalgo a eu raison de le rappeler, que ce devoir était de « refuser la barbarie, de résister à toute forme d’oppression, d’injustice, de permettre aux générations futures de naître et de s’épanouir au sein d’un monde tolérant, empreint d’humanité ».

Ce n’est pas par piété que référence est faite à Jean Jousselin. Ce n’était surtout pas pour que l’hommage – trop tardif – qui lui a été rendu par d’autres rejaillisse sur nous, ses putatifs héritiers. C’est pour que, à son exemple, nous osions résister à l’injustice ; pour que nous osions créer ou, pour le moins, soutenir les institutions chargées de la solidarité, en particulier celle avec les plus vulnérables.

Reste à montrer, si possible, en quoi l’éducation populaire est pour la Jeep une référence plus qu’honorifique ou décorative. Reste en particulier à mettre l’accent sur l’apport propre de la réflexion de Jousselin en matière d’éducation populaire. Nombre de pages de l’ouvrage « Jeunesse, fait social méconnu », paru en 1959, fourmille, à ce sujet, de réflexions précieuses. Le lexique a peut-être un peu vieilli, non l’inspiration ; non, surtout, l’idée d’expérience. Celle-ci, écrit fort justement l’auteur (un des défenseurs d’un scoutisme bien compris), signifie pour les jeunes « expérimentation, épreuve ou test, parfois même défi » (p. 20) ; et même, « désir de marquer l’histoire de leur présence » en déployant, « pourvu qu’ils y soient suffisamment encouragés, les vertus de générosité, enthousiasme, sens de la solidarité, goût du risque » (p. 85).

 

Jousselin faisait partie de ces femmes et de ces hommes convaincus que « le véritable civisme […] repose sur l’éducation populaire » (p. 141) ; que, loin d’être un régime à conserver faute de mieux, la démocratie est appelée à se développer, à s’améliorer ; ce qui implique, selon notre auteur, que « le citoyen est appelé à se cultiver, c’est-à-dire appelé à un supplément de conscience, d’initiative, de solidarité, de responsabilité » (ibid.). Il importe certes grandement qu’une société soit juste, qu’elle se dote d’ « institutions justes », comme dira Ricœur dans les années 1990 ; encore faut-il qu’elle reste chaleureuse. Cela suppose une attention mutuelle ainsi que l’« adhésion consciente de chaque citoyen » à un projet commun, projet dont la solidarité est le nom générique. Or chacun participera d’autant mieux à l’histoire commune qu’il sera plus « en mesure de mieux comprendre sa propre condition et celle du monde ». Affaire de reconnaissance, de soi par les autres, des autres par chacun : c’est affaire d’éducation populaire, et d’engagement de tous les êtres de bonne volonté.

Au plan de l’action proprement éducative, Jousselin a su insister sur l’importance de l’initiative et de la participation effective des personnes aux actions qui les concernent, quel que soit leur âge. À ses yeux, faire droit à l’initiative implique qu’ « il n’existe point de programme-type puisque, partant de la vie, l’éducation populaire est commandée par les conditions de vie de chacun » (p. 151). L’expérience de chacun doit compter et, plus encore, doit être respectée. Mais Jousselin tenait à préciser que si « l’éducation populaire se situe au niveau de chacun […], c’est pour l’amener à rencontrer autrui, et pour qu’il transcende [… son expérience » (p. 154). C’est dire que le sujet advient et ne cesse d’advenir, et que l’éducateur est au service de la découverte, par les plus jeunes, de possibilités d’être insoupçonnées, parfois même refusées par eux parce qu’ils craignent de trahir l’identité que leur assignent leurs premiers groupes d’appartenance – famille ou groupe de pairs -, qui sont souvent les seuls qui vaillent à leurs yeux. Comment alors les aider à découvrir que la multi-appartenance, aussi inconfortable qu’elle soit, est une chance, une source de liberté et de créativité ?

Tel est le défi de l’éducation, de l’éducation populaire en particulier, à une époque où, en même temps que les appartenances se troublent, les identités vacillent, ou bien deviennent l’objet de surinvestissements pathologiques. Le titre d’un ouvrage de Ricœur met bien l’accent sur l’ampleur et la nature de ce défi : Soi-même comme un autre. On comprend mieux, du coup, le tourment professionnel et éthique, des éducateurs : comment un jeune pourra-t-il découvrir que l’altérité hors de soi et l’altérité en soi-même ne sont pas des menaces d’altération ? Face à cette question, il importe de savoir, de dire et de faire entendre ceci : l’éducateur fait partie de la réponse, en tant qu’autre privilégié. À ce titre, il ne peut ni ne doit trahir la confiance placée en lui par des jeunes trop souvent déçus par ce qu’ils considèrent, chez les adultes, comme des dérobades face à leur demande de rencontre, comme une manière de bafouer leur attente de reconnaissance.

 

Et maintenant ?

 

L’histoire de notre association se poursuivra, pleine de surprises, pourvu qu’elle continue de répondre « présent ! » aux jeunes, ces sujets fragiles qui généralement cachent leur fragilité sous le masque de durs. « Présent » avec « ses » bénévoles, avec « ses » éducatrices et « ses » éducateurs, avec « ses » administrateurs et « ses » partenaires (le possessif, ici, ne marque pas une possession mais un compagnonnage !). Oui, pensons-nous, il faut répondre ainsi – ce qui suppose une présence éducative toute de patiente bienveillance – à la demande de reconnaissance et au besoin de confiance des jeunes, qu’ils expriment plus ou moins souvent sous forme de l’une ou l’autre de ces formes : indifférence, hostilité ou manipulation etc. Nous, adultes, sommes alors mis au défi d’entendre ce que eux, les jeunes, n’osent pas ou ne savent pas dire : qu’ils ont besoin qu’on leur fasse confiance, et qu’ils attendent que les adultes soient dignes de confiance ; qu’ils attendent, en bref, qu’on les reconnaisse comme des sujets capables de répondre un jour à la confiance qu’on leur aura accordée.

 

Gilbert Vincent